Renata TROIAN
Enseignante en mécanique, chercheuse au laboratoire LMN et référente Climat Sup' à l'INSA Rouen Normandie
DE L’UKRAINE A LA FRANCE
Renata TROIAN a rejoint la France il y a de ça 10 ans, après des études universitaires en mathématiques appliquées. Avec pour vœu de travailler dans la programmation, elle acquiert sa première expérience en parallèle de ses études, en Ukraine. Sa mission, créer un logiciel pour une agence immobilière. Elle se rend compte ainsi que ce métier n’est pas celui qu’elle souhaite faire. Toujours attirée par les mathématiques, elle décide de faire une thèse et c’est alors qu’elle se découvre un attrait pour l’enseignement et la recherche. Son doctorat obtenu, Renata postule en post-doc dans de nombreux pays et elle pose finalement ses valises en France.
Un pays d’adoption qu’elle ne quittera plus tant elle l’apprécie. La jeune chercheuse pleine d’entrain enchaîne 6 années de contrats postdoctoraux. D’abord à Paris Saclay, à l’École des Mines de Saint-Étienne, puis à l’École Centrale de Lyon où elle restera 4 ans. Progressivement au cours de ces post-doc, Renata, plutôt orientée mathématiques, s’est familiarisée avec la mécanique… et avec le français ! Son atout pour s’approprier notre langue ? Elle l’avait choisie en LV2 à l’école mais aussi et surtout, elle n’a jamais eu peur de s’exprimer, quitte à ce que cela soit approximatif à ses débuts. Outre cet aspect linguistique, ses premières années lui ont également permis d’apprivoiser avec notre fonctionnement : la culture de la recherche qui s’est finalement avérée être sensiblement similaire à celle de son pays d’origine, les usages de la fonction publique… Ou encore la cuisine au point de s’imaginer participer au fameux concours télévisé « Top Chef » !
C’est en 2016 que Renata rejoint l’INSA en qualité de Maîtresse de conférences pour le département MECA et le laboratoire LMN. Un poste pour autant très imprégné de sa discipline d’origine. Elle enseigne la résistance des matériaux, la simulation numérique de structures et ses travaux de recherche, plutôt appliqués, portent quant à eux sur la résistance de structures soumises aux impacts et la propagation des ondes (travaux menés avec le laboratoire LMI). Les conceptions bio-inspirées font également partie de ses thématiques, tant pour l’enseignement que pour la recherche. Le fondement de ce concept ? S’inspirer des solutions que la nature développe pour se régénérer, à l’image d’un arbre dont une branche prendra le pas sur un tronc défaillant. Il s’agit en bref de la mécanique de la nature. Un principe qui permet également de voir la nature avec un nouvel œil.
ENSEIGNANTE-CHERCHEUSE INSPIRÉE ET INSPIRANTE
Les projets bio-inspirés avaient déjà suscité l’émoi de la jeune femme lors d’un post-doc, « et dès qu’on s’immisce dedans, c’est super intéressant ! ».
Il y a quelques années, fraîchement diplômée, elle avait suivi la conférence d’un chercheur qui avait présenté ses travaux bio-inspirés au bénéfice du marché de l’éolien(sur le type spécifique de modélisation numérique qui pourrait être facilement appliqué à l'optimisation de forme bio-inspirée). Un témoignage « tellement inspirant que dès que j’ai eu la possibilité de travailler dessus, je l’ai fait » affirme-t-elle avec enthousiasme. Et de fait, l’un des doctorants qu’elle encadre travaille aujourd’hui sur cette thématique. Deux étudiants qu’elle a accompagnés dans leur projet personnel ont par ailleurs récemment remporté un prix pour leur conception bio-inspirée (cf INS[A]IDE n°6).
Son investissement étant, Renata a récemment été nommée référente développement durable pour le département MECA. Le développement durable revêt pour elle un aspect social et culturel. Une logique d’enseignement, de recherche certes, mais qui puisse aussi s’inscrire dans une idée de campus ; locaux, charge de travail…
Cette philosophie, elle l’applique aussi dans sa vie privée, mais toujours d’un point de vue mécanique ! Renata se passionne également pour la mécanique du corps humain. « Avec mon expérience bio-inspirée, je sais que le corps peut se régénérer. J’apprends comment ça fonctionne et j’embête mes collègues avec des conseils. » s’amuse-t-elle.
De s’inspirer à devenir inspirante, il n’y a finalement qu’un pas.
UN PARCOURS BIEN EN MAIN
La carrière de Renata est encore devant elle mais son parcours est pour autant déjà riche d’accomplissements. Deux de ses travaux de recherche ont déjà été appliqués au monde de l’industrie : le développement de panneaux de réduction de bruit pour les avions, concept déployé par Safran, et la conception d’un code pour la fabrication de composites, utilisé par les fournisseurs de logiciels ESI. Sa fierté actuelle repose sans surprise sur les projets bio-inspirés, une compétence encore assez rare en France.
Cette maîtresse de conférences qui revendique la féminisation de sa fonction aspire à devenir Professeure des Universités mais n’en demeure pas moins lucide quant aux rares postes vacants. Il en va de même quant à sa profession « l’ingénieur trouve, le chercheur cherche. Il faut apprendre à gérer la frustration. Dans l’enseignement, c’est l’inverse, je vois que mon travail porte ses fruits. Ça équilibre le métier qui peut être compliqué psychologiquement pour la recherche ». Renata se concentre pour l’heure à gérer ses recherches, le management associé et espère à l’avenir prendre des responsabilités administratives en plus de l’enseignement et de la recherche.
Désireuse de toujours « apprendre de nouvelles choses », elle a participé au dernier colloque pédagogique du Groupe INSA, aux entretiens de recrutement des étudiants et participera à son premier salon de promotion du Groupe INSA cette année. Un modèle auquel elle adhère : « j’aime beaucoup cet aspect de l’ingénieur humaniste, je pense que c’est ça le futur. L’ingénieur ne peut pas être isolé dans son métier, il doit être ouvert au monde et être sensibilité à la culture. »
Dans cette même idée, sa citation préférée, fidèle aux valeurs de cette jeune enseignante-chercheuse prometteuse : « Peut-être que ce sont les guerriers qui ont la gloire, mais ce sont les ingénieurs qui créent la société. » B-Elanna Torres, Star Trek.
Selon vous quels sont les grands enjeux d’un tel chantier de transformation des enseignements pour l’établissement ? (Mobiliser les EC, intégrer les étudiants, trouver de la place dans les maquettes, visibilité de l’établissement)
L’objectif principal est de répondre à un besoin qui est devant nous, on n’invente pas, le besoin est là. Il y a une demande très forte des étudiants. Pour y répondre aujourd’hui, nous savons quoi faire mais ne savons pas comment nous y prendre. Beaucoup de collègues œuvrent déjà pour le développement durable dans leur quotidien personnel mais à l’échelle de l’enseignement supérieur, nous ne savons pas encore comment procéder. Même à l’échelle plus large des métiers, il n’existe pas encore de normes ou processus. Les enseignants sont donc parfois dépourvus puisqu’il ne s’agit pas de leur métier premier. Heureusement, à l’INSA Rouen Normandie, nous pouvons cependant nous inspirer des pratiques de deux de nos spécialités : Chimie et génie chimique, et Gestion des procédés et gestion des risques. Les enjeux sont là : répondre aux aspirations des étudiants d’une part, donner des clés aux enseignants d’autre part, et enfin, adapter nos process.
A quelles grandes difficultés avez-vous fait face jusqu’ici, et comment les avez-vous contournées ?
La plus grande était l’année de crise sanitaire : le projet a été lancé dans notre école à ce moment et nous avons dû adapter nos méthodologies d’enseignement pour du 100% distanciel, ce qui a demandé beaucoup de temps et d’énergie. Ce qui nous restait, nous l’avons dédié à ce projet. La deuxième difficulté, en lien avec les conditions précédemment citées, a été d’inciter les collègues à s’investir pour ce nouveau projet, dans un quotidien déjà très chargé. Nous sommes allés à leur rencontre, mais aussi à celle des étudiants et diplômés qui nous ont aidés à développer de nouvelles méthodes à travers des ateliers. Cette année a été plus facilitante. Avec le retour du présentiel, nous avons notamment pu organiser des événements thématiques. Nous savons que le manque de temps est un frein conséquent pour les enseignants donc nous essayons de créer des conditions favorables, d’amener les informations jusqu’à eux pour qu’ils s’investissent. Beaucoup d’activités se sont par ailleurs greffées autour de nos actions. Finalement bien des composantes de l’école s’investissent pour le développement durable, seul le lien manquait. Nous sommes convaincus que le projet perdurera par l’effet de feu.
Rétrospectivement, quels ont été les leviers, ou les moments de bascule faisant avancer le projet ?
Deux leviers sont particulièrement favorables au projet. La direction nous accorde tout d’abord toute confiance, elle nous a donné une place officielle au sein de l’école, avec des moyens. Les retours positifs des étudiants sont par ailleurs stimulants : dès qu’ils ont su que ce projet existait, ils se sont jetés sur nous ! Leur motivation est incroyable, ils sont très enthousiastes et c’est une grande source de satisfaction et de motivation.
Et de votre côté, personnellement, quels ont été vos ressentis au cours du projet, et ont-ils évolué ?
Je travaille dans cette direction depuis que je suis arrivée à l’INSA Rouen Normandie, donc quand j’ai su que ce projet existait, j’étais ravie. Il y a des hauts et des bas mais de voir que de plus en plus de personnes nous rejoignent est vraiment satisfaisant. Nous avons beaucoup de plans pour la suite.